Rechercher

Sur ce site


Accueil du site > Equipes de Recherche > Perception de l’environnement et attitude des paysans malgaches face aux projets de développement rural > Résultats

Perception de l’environnement et attitude des paysans malgaches face aux projets de développement rural

Résultats

Pertinence des théories PDE à Ampitatafika

Les résultats de l’analyse de la pertinence et de la validité des théories utilisées dans l’étude des relations PDE, confirment ceux de la littérature scientifique depuis une quinzaine d’années. Les théories (néo)malthusiennes et (néo)boserupiennes sont des types idéaux, trop tranchés pour avoir une pertinence à des échelles fines de temps et d’espace. Pour étudier la relation PDE au niveau local, mieux vaut prendre le parti de la complexité. Autre résultat, le relâchement de certaines hypothèses du modèle économique néo-classique standard autorise une meilleure analyse des comportements du monde rural des PED. La rationalité économique peut se comprendre en mettant l’accent sur la minimisation des risques en lieu et place de la maximisation des revenus, et en raisonnant sur des entités décisionnelles familiales et non pas individuelles. Quant aux mécanismes de coordination et d’échanges, il faut les appréhender dans leur contexte socio-économique, celui des réseaux sociaux de solidarité.

Environnement : perception et attitudes

Dans la zone d’étude, la très large majorité des paysans se sentent concernés par les problèmes d’environnement (95% des chefs de ménage). Ils ont tout à fait conscience du lien entre les activités humaines et la dégradation ou la protection de l’environnement. Le faible degré de connaissances techniques limite fortement l’innovation dans les pratiques agricoles. Rares sont les agriculteurs d’Ampitatafika qui déclarent avoir reçu une formation ou une aide technique en matière agricole. Les agriculteurs peuvent faire preuve d’innovation si le risque d’une nouvelle pratique est très faible. L’aide et la connaissance techniques aident beaucoup à limiter ce risque, ainsi que les mécanismes d’imitation des paysans entre eux. L’adoption de ces pratiques est aussi plus fréquente dans les ménages dont le chef est alphabétisé qui sont plus aptes à s’affranchir de la coutume et des contraintes sociales. De même, plus la superficie de la terre exploitée est importante, plus les pratiques protégeant l’environnement, par exemple la fertilité du sol, sont nombreuses au sein des ménages. Le revenu joue ici un rôle important, car la mise en place puis l’entretien des aménagements a un coût et les ménages les plus nécessiteux peuvent hésiter à prendre des risques en modifiant leurs techniques de culture. Ils cherchent avant tout à assurer leur autosubsistance. Enfin, un résultat intéressant est que plus le nombre d’individus dans le ménage est élevé, plus le ménage développe des pratiques agricoles « protectrices ». Cette relation s’explique notamment par le fait que certaines familles de faible effectif peuvent manquer de main-d’œuvre pour certaines pratiques d’entretien agricole.

Quelles sont, dans ce contexte de pauvreté, de forte densité où la taille réduite des parcelles et la faible fertilité de certaines terres limitent les rendements agricoles, les possibilités et les capacités d’adaptation des familles ? Quelles sont les stratégies démographiques, économiques mises en œuvre et quels sont leurs impacts sur l’environnement ? Les stratégies les plus fréquentes consistent à multiplier les sources de revenus via des activités non agricoles ou des activités agricoles en dehors d’Ampitatafika. Environ un cinquième des actifs ont une seconde activité non agricole de type saisonnier, vers des zones de culture (légumes, fruits) ou de production (artisanat, menuisier, briquetier, maçon). Certaines de ces stratégies aident à préserver l’environnement en limitant la pression sur les terres. D’autres, en revanche, sont plutôt un facteur de dégradation comme, par exemple, la fabrication de briques, qui est une pratique particulièrement nocive pour la fertilité des sols. Cependant, rares sont les familles qui abandonnent totalement l’agriculture.

L’approche locale menée à Ampitatafika a permis de spécifier quelques mécanismes d’interaction entre population et environnement. Un des résultats marquants ici est que l’effectif du ménage, et donc le nombre d’enfants, n’est pas le facteur déterminant de la dégradation des ressources naturelles. Entre la population et l’environnement, le rôle d’interface du système de production économique et agricole est ici confirmé.

Les projets de développement

A côté de l’analyse proprement statistique, l’étude a montré que quasiment toutes les variables de perception de l’environnement présentent une forte structuration spatiale. On a ainsi identifié des oppositions spatiales entre des groupements de lieux où les ménages ont des perceptions identiques de l’environnement, soit d’amélioration, soit de dégradation. Au-delà des conditions physiques ou des pratiques culturales, ces différences sont liées aussi à une conscience collective déterminée par un lien social intense. Dans leur perception de l’environnement, les individus intègrent aussi d’autres facteurs que ceux liés à la simple distance euclidienne. Par exemple, le fait d’être physiquement proche de routes carrossables et pistes menant à une route nationale, ne signifie pas pour autant que les individus se sentent proches d’elle (problèmes d’accessibilité et qualité du service offert).

La commune d’Ampitatafika, malgré des atouts en termes de localisation (en bord de route, à moins de 100 km de la capitale), connaît un faible développement, absolu et relatif par rapport aux communes avoisinantes, alors que plusieurs microprojets de développement ayant trait à l’agriculture ont été mis en place depuis de nombreuses années. On dénombre aussi quelques projets de plus grande envergure, comme par exemple les crédits octroyés aux paysans depuis les années 1980 par la Banque pour les paysans, en collaboration avec le gouvernement. La commune a en effet déjà reçu deux « Plan Communal de Développement » (PCD) en 2003 et 2005, qui sont des projets d’initiative publique financés par les institutions internationales et/ou le gouvernement. Seulement 7,6% des chefs de ménage savent « bien » ou « un peu » à quoi il sert et 85,3% « pas du tout ». La population ne sent pas concernée par le PCD, et même si 39% des individus pensent qu’il est utile pour la commune, seulement 3,8% estiment qu’il correspond à leurs attentes personnelles.

Seul un chef de ménage sur dix a adhéré à des projets de micro-crédits. La peur de ne pas pouvoir rembourser est omniprésente et, très souvent, elle renvoie à une expérience mal vécue. Ainsi, deux tiers des ménages ne souhaitent pas adhérer aujourd’hui ce type de projet. Mis à part des facteurs d’échec assez classiques (financement insuffisant, retard dans les versements, mauvaise gestion), d’autres raisons sont à rechercher dans l’attitude des paysans qui justifient leur manque d’initiative en évoquant souvent l’héritage de la période collectiviste (années 1970-1980), au cours de laquelle l’Etat prenait toutes les initiatives dans les choix productifs. Un autre argument concerne la prise de risque que comporte toute adhésion à l’innovation, considérée comme extrêmement dommageable pour les paysans, d’autant qu’il n’existe aucun système d’assurance en cas d’échec. Et les risques auxquels est confrontée la population étant nombreux, la probabilité d’occurrence est perçue comme relativement élevée : risques climatiques, risques d’insécurité foncière ou risques sociaux. L’Enquête Référence a montré que 73,0% des emprunts se faisaient au sein de la famille, 20,6% de la population s’adressant à un ami ou à un voisin. Pourtant, si les deux tiers des emprunts concernent des sommes relativement modestes, presque 10% des emprunts sont relatifs à des sommes importantes, supérieures à 300 000 Fmg, qui ne sont pas demandées à des organismes professionnels.

Un autre exemple est celui de l’adoption de l’innovation. Des enquêtes ont été menées dans le village de Mananetvohitra (74 ménages) pour savoir dans quelles conditions ils avaient adopté une innovation : le passage de la riziculture « en foule » à la riziculture « en ligne ». L’analyse indique qu’il aura fallu trente ans pour que la majorité de la population adopte la culture en ligne, alors que celle-ci ne représente pas une innovation majeure ou très risquée, d’après les spécialistes. L’adoption d’une nouvelle technique a donc lieu lorsque tous les doutes ont été évacués. De plus, des cataclysmes naturels ayant mis en péril les cultures au début des années 2000 ont abouti à la désadoption partielle de l’innovation.

Les aspects communautaires et collectifs sont donc déterminants dans le processus d’adoption de l’innovation, plus particulièrement celle des projets de développement. L’enquête EPD l’indique clairement : les paysans préfèrent s’appuyer sur des structures associatives pour s’inscrire dans des projets de développement, à condition que celles-ci soient constituées de membres en qui ils ont entièrement confiance.